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Chroniques
Le portrait de Manon
opéra de Jules Massenet
Voyage dans le temps, destination 1894 ! L’Opéra de Marseille consacre une soirée à trois œuvres créées cette année-là, en faisant place aux jeunes. Sur la scène historique, encastrée dans un monumental mur de marbre, Le portrait de Manon, opéra-comique en un acte de Massenet, rencontre Prélude à l'après-midi d'un faune de Debussy ainsi que deux extraits de la comédie lyrique Thaïs, également de Massenet, à savoir la Méditation et le ballet.
Ce dernier passage, curieux petit fleuve musical aux détours parfois violents, démontre particulièrement le talent de l'actuel chef assistant de l'Orchestre de l'Opéra de Marseille, Victorien Vanoosten. À la baguette et dans les choix du programme qu'il a concocté pointent la fougue, l'originalité et la jeunesse. Dans la Méditation, intermezzo ouvert sous forme de caresse, puis porté en douceur par le Chœur « maison » alors à son meilleur, la sensiblerie et la morne solitude menacent. Mais c'est le bon sentiment d'un retour (en soi) qui s'impose, une intimité touchante, semblant à la fois fragile et infinie. Entre-temps s'est élevée une voix consolatrice, celle du violon de Da-Min Kim, super-soliste coréen de vingt-cinq ans. En tout début de soirée, un couple de danseurs de la Compagnie Julien Lestel, sans doute aussi dans la vingtaine, donnent une forme nouvelle, athlétique et sensuelle, à l'archi-connu Prélude à l'après-midi d'un faune en l'interprétant notamment en une intéressante parade nuptiale.
Au troisième lever de rideau, enfin l'opéra reprend possession des lieux. Introduit par un petit bijou de prélude, véritable modèle dans le genre comique en un acte, Le portrait de Manon comble les admirateurs, sûrement de plus en plus nombreux, de l'art de Massenet. Il s'agit bien d'une suite, apparue dix ans plus tard, de Manon dont les principaux motifs sont plaisamment évoqués par jeu, avec maîtrise et mignardise. Ainsi, par exemple, au contact d'une « petite table » revient le fameux air correspondant. Voilà une œuvre certes brève et personnelle, mais aboutie, qui parvient aussi à dépasser les références lyriques propres au compositeur, les citations directes ou autres effets rétros, grâce à la théâtralité, bien sentie par le metteur en scène Yves Coudray, du propos comique ponctué de répliques vives et de tableaux émouvants (aussi court et prévisible soit-il).
Seul chez lui, un noble désabusé se lasse d'entendre quelques chants d'amour au dehors. Et pour cause : c'est Des Grieux, à l'âge de cinquante ans – le baryton Marc Scoffoni, en progression du monologue grave au chant courroucé, voire colérique. Songeant encore à Manon, contemplant son portrait avec moins de nostalgie que de mélancolie noire, le chevalier freine sec les élans de son neveu Jean – le mezzo-soprano Antoinette Dennefeld, détentrice de « cette voix argentée de la jeunesse » si impressionnante pour Rousseau et bien d'autres !
« Gardez-vous bien, lui ordonne-t-il, de plus songer encore à cette fille qui n'a rien ! »… sinon sa nubilité. Pourtant cette Aurore – Jennifer Michel, soprano piquant – saura reprendre de Manon l'apparence charmante et comme un air de famille (elle est la fille de Lescaut). Le dénouement survient de manière très abrupte, avec l'aide du hasard et d'un certain Tiberge, tuteur d'Aurore, interprété par le ténor Rodolphe Briand. Son jeu de scène, surtout, est excellent et à savourer encore plus dans le rôle de Guillot de Manon, cet autre plaisir automnal de Massenet phocéen [lire notre chronique du 29 septembre 2015]... dont Le portrait de Manon d'un seul soir ferait un beau disque !
FC